2024 – UNE NOUVELLE ANNÉE DE LECTURE : BRASSÉE DE FRAIS APHORISMES / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Pour débuter cette nouvelle année de lecture, j’ai choisi de lire des recueils d’aphorismes en alternance avec des textes de fiction. Je vous présente aujourd’hui les quatre premiers recueils que j’ai lus, tous aussi bons les uns que les autres et tous publiés par le spécialiste en la matière : CACTUS INÉBRANLABLE Éditions. Vous trouverez donc ci-dessous mes commentaires de lecture des recueils de Liza KERIVEL, Patrick LORENZINI, Bernard BARRAUD et même celui du recueil de Jean-Philippe QUERTON, le « pacha » de ce bateau littéraire.

Hier finira bientôt

Liza Kerivel

Cactus Inébranlable

« La plupart des aphorismes écrits sur les femmes le sont par des hommes, ce qui n’est pas bon signe. » On ne peut donc que se réjouir que le Cactus Inébranlable ait donné l’occasion à une femme d’écrire des aphorismes sur les femmes et même sur les hommes. Ce que Liza a très bien su faire. Elle commence très fort ce recueil par un premier aphorisme qui pourrait concerné tout autant les hommes que les femmes : « Apprivoiser le bonheur ne consiste pas à le sortir deux fois par jour avec une laisse autour du cou. » C’est coquin mais c’est surtout un joli trait d’esprit qui m’a bien fait rire.

Dans ce recueil, j’ai noté certains aphorismes qui permettent de brosser un portrait, très subjectif probablement, de Liza :

A travers sa vision de la vie telle qu’elle la ressent :

« Être pauvre, c’est vivre exactement comme les autres en faisant tout différemment. »

« Poser des congés, Je ne suis pas contre, / mais c’est très sale par terre. »

A travers l’importance qu’elle semble vouloir donner à l’introspection pour donner du sens à sa vie :

« Il y aura toujours quelqu’un pour essayer de rêver à votre place. »

« Je préfère voyager en moi-même, cela me donne l’impression de ne jamais avoir besoin de rentrer. »

A travers sa vision du monde politique, de la société en général et des grandes questions sociétales à la mode :

« Les écologistes accepteraient-ils d’abattre l’arbre qui cache la forêt ? »

« L’abus d’abus est dangereux pour la santé de la démocratie. »

« Les éléments de langage en politique relèvent du comique de répétition. »

« Il sera question de la condition des femmes aussi longtemps que l’on sera une femme sous condition. »

A travers quelques traits d’esprits, jeux de mots, formules absurdes, surréalistes, incongrues, …  :

« Je n’ai pas peur du noir si la lumière reste allumée. »

« Les absents ont toujours tort mais cela ne veut pas dire que les autres ont toujours raisons. »

« Violences conjugales : sortir des sentiers battus. »

Je ne saurais oublier sa vision de l’amour :

« Il n’est pas raisonnable de vouloir mettre ses sentiments entre toutes les mains. »

Je partage le fond de nombre de ces formules même si je n’aurais pas su leur donner la forme littéraire que Liza a su leur choisir. Ce recueil m’a fait sourire et même rire, m’a ouvert des horizons nouveaux, même s’ils sont souvent absurdes ou fantaisistes. Et, comme elle, ce n’est pour autant que je ferai une overdose de rire, « Je constate ne pas avoir développé d’allergie au rire malgré une consommation excessive depuis de nombreuses années ». Je pense qu’elle parle de la consommation d’aphorismes.

Le recueil sur le site (de vente en ligne) du Cactus Inébranlable

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Les dents qui frisent

Patrick Lorenzini

Cactus Inébranlable

Voilà encore un nouvel entrant, pour moi au moins, dans la célèbre écurie littéraire Les Cactus Inébranlable Éditions. Avant lecture de son recueil, j’espérais qu’il correspondrait à l’exergue qu’il a pêché chez le grand Louis Scutenaire, « Ce monsieur est un gros poète », après lecture j’en conviens aisément. On ne peut pas douter de ses goûts littéraires, ni de ses sources d’inspiration, quand il convoque dans ce recueil : Paul Jean Toulet, Antoine Blondin, Louis Scutenaire comme je l’ai déjà mentionné et quelques autres : Arthur Rimbaud, Christian Bobin, Pablo Picasso, … Même s’il est dubitatif sur la production de certains poètes actuels : « Seuls les poissons achètent ses vers, mais uniquement lorsqu’ils meurent de faim. »

Dans ce recueil, Patrick s’emploie à déconstruire des expressions consacrées, toute faites, trop usitées, des titres vulgarisés à l’excès, des maximes répétées à l’outrance, des intitulés récurrents, …, pour formuler de nouvelles expressions drôles, souvent même désopilantes, qu’il rédige en des textes courts, souvent très courts, percutants, satiriques, caustiques qu’il adresse aux modes de vie actuels, aux comportements contemporains, aux divers médias réels et virtuels et plus globalement à nos façons de vivre aujourd’hui.

« La presse écrite : de moins en moins écrite, de plus en plus pressée. »

« Elle s’est fait faire un ravagement de façade. »

« Tout est déjà si démodé. »

« Le pire est le propre de l’homme. »

L’homme est aussi philosophe, à la mode du Père Ubu peut-être, si l’on en croit certains aphorismes placés au tout début du recueil :

« Affirmer un doute résolu plutôt qu’une certitude hésitante. »

« Je préfère qu’il n’y ait pas de solution lorsqu’il n’y a aucun problème. »

« Pensées pour aller se pendre avec le sourire. »

J’ai aussi apprécié quelques jolis mots d’esprit en forme de clin d’œil aux surréalistes :

« La Grosse Bertha était-elle la femme du Père Obu. »

« Mon poissonnier n’avait plus de truite de Schubert, je lui ai pris un beau mérou de Ravel. »

J’ai pensé que celui-ci ferait une jolie conclusion à ce recueil.

« Les mots furent parfois un bel endroit où vivre ». Ceux de ce livre sont tout à fait cosy …

Le recueil sur le site (de vente en ligne) du Cactus Inébranlable

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L’ombre se moque des apparences

Bernard Barraud

Cactus inébranlable

Nouveau venu dans la collection des P’tits cactus des Cactus Inébranlable Editions, Bernard Barraud est présenté dans sa biographie comme un « Marionnettiste des mots «. Ils les aiment tellement ! Il sait tellement bien les faire danser, les assembler pour en faire des phrases courtes, souvent très courtes. Des phrases qui sont souvent des aphorismes selon l’idée qu’en propose Jean-Philippe Querton dans son anthologie, « Les phrases du silence » L’aphorisme ne se définit pas, « …laissons cette forme d’expression littéraire vivre son existence au gré des modes, des tendances, des penchants et des goûts de chacun ». Dans son présent recueil, Bernard Barraud, lui, a réservé de nombreux aphorismes au triptyque : mots, phrases, aphorismes. J’ai choisi d’utiliser ce triptyque comme fil rouge de mon commentaire même si Bernard Barraud a abordé de nombreux autres thèmes dans son recueil : la vie, l’amour, la mort et tout ce qui nous entoure, tout ce qui constitue le monde dans lequel nous vivons : le vivant, le matériel et l’immatériel. La lecture de ce recueil est déjà une approche de ce qu’est l’aphorisme, une mise en bouche avant la lecture de l’anthologie de Jean-Philippe Querton.

Dans ce texte, j’ai donc relevé un certain nombre d’aphorismes qui éclairent le lecteur sur la conception de l’aphorisme développée par Bernard Barraud. Dans cet inventaire, l’auteur évoque son amour des mots, sa conception de l’aphorisme et sa façon de l’élaborer, de le construire, de le glisser dans un texte,…

Pour commencer cet inventaire, j’ai choisi de lister les aphorismes qui montrent l’amour de l’auteur pour les mots et les aphorismes, sa façon de les choyer, de les dorloter avant de nous les livrer :

« J’ai un faible pour le pouvoir des mots. »

« J’aime bricoler avec les mots que j’accroche au mur. »

« J’aime bricoler avec les mots et percer à jour chacun de leur mystère. »

« Du haut de la montagne de mes idées j’ai provoqué une avalanche de mots. »

« Un nuage de mots passe au-dessus de moi : je sens qu’il va pleuvoir quelques aphorismes. »

«  En attendant une averse d’aphorismes, les premières gouttes. »

« Aphorismes : furtives pensées apéritives. »

« Il suffit d’une lettre pour faire un mot, d’un mot pour faire une phrase et d’une phrase pour faire un aphorisme. »

« Mes aphorismes ramassent les petits éclats silencieux des mots jetés par la fenêtre de mes idées. »

« Dieu créa l’aphorisme, le huitième jour de la semaine. »

« Laissons frémir les aphorismes libertaires, à feux doux et toute la sainte journée. »

« L’aphorisme se contente de peu de mots mais quant à savoir combien personne ne le sait. »

« Il m’arrive de cacher dans mes aphorismes quelques secret de famille. »

En écrivant cette liste, j’ai eu comme l’impression d’écrire l’histoire d’un petit aphorisme égaré dans un recueil publié par les Cactus Inébranlable Editions. « Le penseur à ses poncifs et le ponceur à ses pensées. » !

Le recueil sur le site (de vente en ligne) du Cactus Inébranlable

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Les phrases du silence

Jean-Philippe Querton

Je me souviens d’avoir lu cet aphorisme dans un recueil de Bernard Barraud : « Il m’arrive de rêver d’une bibliothèque, en apparence infinie, qui contiendrait tous les recueils d’aphorismes possibles. » Un clin d’œil à un fameux texte de Jorge Luis Borges. Ce rêve, Jean-Philippe Querton l’a presque réalisé en publiant dans sa célèbre maison, les Cactus Inébranlable Editions, quelques ouvrages regroupant une bonne partie de la production aphoristique francophone et de nombreux recueils. Je citerai donc :

Avec ce présent recueil récemment publié, Jean-Philippe Querton conforte le rayonnement et la quasi-exhaustivité de sa collection d’aphorismes. Il avoue même, avec un brin de fierté mal dissimulé que « De collectionneur à anthologiste, il n’y a qu’un pas, un petit pas que je franchis facétieusement pour proposer ce curieux répertoire ». Le sous-titre de cet ouvrage explicite bien les intentions de l’auteur : « Aphorismes sur l’aphorisme et quelques autres formes brèves », l’intention est donc bien de répertorier tous les aphorismes qui évoquent l’aphorisme. Ce recueil débute par une préface dans laquelle l’auteur explique son objectif et dénomme les sources qu’il a utilisées pour l’atteindre. Suit un très intéressant chapitre recensant les « Quarante manières de nommer l’aphorisme » qu’il a pu recenser tout au long de sa recherche. Elles sont très diverses et montrent bien que l’aphorisme est quelque chose qui reste indéfini mais que chacun ressent par l’effet qu’il provoque à sa lecture. C’est une émotion, un choc, une fulgurance, un fou rire …

Je n’ai pas lu ce recueil car j’ai déjà lu tous les aphorismes, ou presque, qu’il contient. En effet, j’ai l’immense chance d’accompagner la publication de tous les livres que Cactus inébranlable éditions publie depuis son origine ou presque. Je connais littérairement tous les auteurs de cette « écurie » éditoriale. Je vais déposer ce nouveau recueil dans un coin d’accès très aisé pour pouvoir le saisir à la première occasion dès que j’aurai besoin d’un bon mot, d’une réflexion pertinente, d’une formule percutante, …, même seulement de rire un bon coup !

Le maître a encore frappé un grand coup, Cactus Inébranlable est bien le lieu incontournable où naissent et se propagent les aphorismes.

Le livre sur le site du Cactus Inébranlable

Voir l’abonnement aux P’tits Cactus : 10 ouvrages pour 95 €

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