UNE VISION REALISTE SUR LA VIE : BOUTON D’OR de JEAN DORNAC / Une lecture de Sonia ELVIREANU

Sonia ELVIREANU

On ne pourrait pas deviner ce qui se cache sous ce titre Bouton d’or , qui évoque d’emblée la beauté : le réalisme cruel d’une vision romanesque qui dénonce les misères de l’existence, les injustices sociales, l’intolérence d’une société entravée dans ses préjugés et le mal. Et la beauté suggérée par le titre ? Elle est là aussi dans l’amour authentique, rayonnant et tendre, au-dessus de tout, un amour qui libère de toute contrainte, rend heureux, métamorphose un déshérité en ange.

Voici un roman à forte empreinte sociale qui enlève le voile cachant le sordide de la société pour trouver les racines du mal et comprendre « les misérables » de Victor  Hugo. Et Jean Dornac le fait d’une manière com- patissante et troublante, évoquant avec un incontestable talent narratif les drames humains.

Écrit  en 1996, primé en manuscrit, resté quinze ans dans le tiroir de l’auteur, revu en 2010 et publié en 2011, Bouton d’or n’a rien du postmodernisme de son époque, n’est en rien redevable aux tribulations romanesques depuis le nouveau roman jusqu’à nos jours. Il s’avère d’une descendance plus éloignée, de réalisme social teinté de romantisme. Le romancier se fait le partisan du récit classique, linéaire, évoquant un sujet qui renvoie à l’universel, touché par la souffrance humaine dans tous ses aspects. Cela explique le refus de tout artifice narratif et la vision réaliste pour nous dévoiler la cruauté de la vie et les injustices d’un système oppressant qui n’a pas changé dans ses rouages au XXI-e siècle.

 Le romancier met au centre de son roman l’histoire d’un couple apparemment heureux qui explose brusquement lors d’une dispute et se brise, se dissout. À travers lui, l’auteur nous fait comprendre le mensonge caché derrière les apparences, les effets maléfiques de l’intérêt pécuniaire de la femme-harpie, incarnation du mal, dégradée par les vices. En opposition avec elle, c’est l’homme de caractère, de souche noble, amoureux d’une femme qui ne le mérite pas et dont il découvre le vrai visage par des périples malheureux et dangereux, des souffrances qui le rapprochent, contre son gré, des milieux louches qui ne réussissent pas à le pervertir.

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Jean Dornac

Paul de Bellerive, un homme exemplaire, père de 5 filles qu’il aime de tout coeur, est trompé par sa perverse femme, Evelyne, la maîtresse d’un interlope dangereux. Celle-ci détruit sa famille et le bonheur de Paul, méprise son amour paternel, le sépare de ses filles par vengeance, en fabriquant de faux témoignages, le jette dans le désespoir. L’accusant à tort d’enlèvement de ses propres filles qu’il ne voulait que protéger contre l’interlope qui les tenaient séquestrées dans sa villa, son ex–femme l’entraîne dans un procès injuste qui le déshonore à jamais, le plonge dans la misère, le conduit en prison.

De chagrin en chagrin, repoussé par sa mère trop snobe, au bout des malheurs, il découvre et partage la vie des paria de la société, mais aussi l’amitié et le véritable amour. Il sera sauvé par l’amour d’une femme, provenant d’une famille bourgeoise aisée, mais plongée dans la prostitution, sous l’autorité d’un proxénète dangereux, chef d’un réseau à ramifications hors les frontières françaises.

Le romancier dénonce la pauvreté, la misère des marginalisés, l’injustice sociale, la pervesion et la corruption infiltrées au plus haut de la hiérarchie sociale, même dans la justice et la police, les liens sordides entre les politiciens et les interlopes, source de financement de leurs campagnes électorales. Il plaide pour l’amour entre les gens, sans barrières sociales et sans préjugés, pour toute une humanité humiliée et trahie par le pouvoir de l’argent et la mauvaise politique d’un système social.

Jean Dornac est un romancier très doué. Il réussit à merveille à maîtriser la trame, à créer un récit palpitant au fil des vingt chapitres du roman, à évoquer l’atmosphère de plusieurs milieux, à retracer des portraits. Il excelle dans l’art du dialogue qui explore plusieurs couches de la langue, y compris, l’argot, qui collent à ses personnages, aux milieux évoqués. Les scènes imprévues et dynamiques, si cruelles qu’elles puissent être, de même que les dialogues, semblent prises sur le vif. On pourrait bien en tirer un film palpitant.

Le destin des personnages est dramatique. Le mal, le cynisme, la vengeance, l’esclavage humain, l’injustice font des ravages partout, tuent l’innocence et la beauté de la vie. Cependant l’amour triomphe, en dépit des souffrances et des misères, prouve qu’il ne faut jamais perdre ce que l’homme a de plus précieux en lui.

Le réalisme cruel de la vision de l’auteur est adouci par l’érotique romantique, l’exotisme du paysage, de certains personnages, et la conviction de l’auteur que le véritable amour pourrait changer le monde.

Le récit s’avère le meilleur moyen d’avertir le lecteur contre le mal qui persiste au fil des siècles, de le dénoncer et s’en révolter. Cette veine humaniste, de révolte sociale, est particulière à l’oeuvre de Jean Dornac, y compris la poésie.

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