2023 – LUS EN FIN D’ANNÉE : DES NOUVELLES DE CHEZ M.E.O. / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

M.E.O. publie de nombreux romans mais aussi parfois de beaux recueils de nouvelles comme les deux que j’ai réunis dans cette chronique : l’un de Lorenzo Cecchi, un auteur que j’ai déjà fréquenté plusieurs fois et que j’apprécie ; l’autre, de Jean Yvane que je connais moins mais qui n’en est pas moins bon pour autant.

Dans l’enclos

Lorenzo Cecchi

M.E.O.

C’est le quatrième recueil de nouvelles de Lorenzo que je lis après en avoir lu trois autres publiés au Cactus inébranlable. Dans tous ces recueils, j’ai trouvé ou retrouvé une certaine mélancolie, de la nostalgie mais aussi beaucoup de vie, d’envie de vivre, d’espièglerie, d’humour, souvent narquois, parfois sarcastique et même noir, et une dose de dérision pour égayer les moments les moins favorables de l’existence. Lorenzo est un maître de l’histoire courte, il sait à merveille condenser une tragédie, un fait divers insolite, une aventure rocambolesque ou tout autre moment d’une existence en une histoire brève très plaisante à lire. Il a l’art de trouver des chutes inattendues, drôles, insolites, perturbantes parfois, … 

Ce nouveau recueil se compose de quarante-quatre bouts de vie, instants d’existence, moments où tout bascule après un long processus d’altération. Gordon qui fait le bilan de sa vie et finit par étouffer sa femme, Adèle n’oublie pas son viol et les traumatismes qui la poursuivent, Willy, un grand avocat, plaide son dernier procès et ne le supporte pas, … Ainsi dans ces quarante-quatre textes, la vie ne s’écoule pas forcément comme les acteurs l’avaient prévu mais pas non plus comme le lecteur l’attendait. Lorenzo a le talent et la créativité pour inventer des histoires insolites qui s’achèvent dans des chutes tout en finesse.

Une certaine fatalité se dégage de la somme de ces histoires, on a l’impression que les protagonistes ont l’art de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment et que ceci ne perturbe pas spécialement l’auteur qui trouve dans cette fatalité plutôt matière à ironie, sarcasme, humour narquois… J’ai eu l’impression qu’il connaissait bien l’effet papillon, celui qui provoque une tempête en Mer de Chine après un battement d’ailes de papillon au-dessus de la Baie de Rio. Chez Lorenzo, la banalité de la vie quotidienne peut conduire à une explosion finale tout à fait inattendue.

À force de fréquenter les auteurs d’aphorismes aux Cactus inébranlable Editions, Lorenzo a développé son art de la concentration textuelle et de la fulgurance de ses chutes finales. Un recueil à poser sur la table de chevet pour en lire une, ou plusieurs histoires, chaque soir avant de dormir, même si ses histoires sont parfois à dormir debout.

Le livre sur le site de l’éditeur

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Cosa Mentale

Jean Yvane

M.E.O.

Ce petit recueil d’une centaine de pages abritant neuf nouvelles, selon l’éditeur, textes en forme d’hommage selon moi, évoque des personnages du monde intellectuel et artistique comme Serge Gainsbourg, Franz Kafka, Georges Perec, Boris Vian, Antoine Blondin, … Chanteurs parfois, auteurs toujours, des gens de lettres à l’immense talent. Ces hommages n’ont rien de comparable avec ceux rendus à l’occasion de cérémonies funèbres ou commémoratives, aucun rapport avec ces textes dégoulinants de bons sentiments, suant la complaisance et la flatterie posthume. Non, Jean Yvane est lui-même un auteur chevronné, un homme de théâtre et aussi un homme de télévision. Il a rencontré, physiquement ou littérairement, ces neufs auteurs au cours de sa longue carrière professionnelle et littéraire, il les a admirés, il veut dire à l’approche de sa vieillesse tout le bien qu’il pense d’eux.

Il ne saurait flatté Gainsbourg car il n’est pas  « flattable », il faut le prendre avec tous ses excès pour en goûter tout le talent et Jean Yvane l’a très bien compris. Kafka, il ne l’a pas regardé lui-même, il l’a observé à travers l’œil de celle qui le connaissait le mieux : son « épouse ». Perec, il a apprécié l’homme qui a su conjuguer les contraintes, souvent littéraires, et les services rendus aux autres, par exemple en leur fournissant « le mode d’emploi » du métro. Chez Vian, il a vu comme tous ceux qui l’ont connu, l’homme de cœur sans cœur, l’homme de plume et de trompette, l’homme de mots et de maux qui « n’a pas pu aller au bout de sa vie ».

Personnellement, je rends hommage à Jean Yvane d’avoir laissé dans cet inventaire des grands talents littéraires une petite place à Antoine Blondin pour lequel j’ai une vraie admiration. Ses dialogues pour le cinéma, ses articles de presse sur le cyclisme, ses romans et tous ces autres écrits, tous ceux que j’ai lus ou entendus sont pour moi de véritables pépites. Antoine, il a inventé un monde à sa démesure, un langage qui m’emporte chaque fois que je le lis. Je suis heureux de partager ce plaisir avec l’auteur.

Ionesco, Beckett et Woody Allen ont été moins facile d’accès pour moi mais Jean Yvane sait dire tout leur talent pour me donner envie de revenir vers leurs textes ou films. Merci à lui d’avoir, le temps d’une lecture, remis ses immenses auteurs sur le devant de la scène littéraire. J’espère que les libraires se jetteront sur ce livre et entraineront derrière eux une longue file de lecteurs avides de redécouvrir des œuvres qui resteront immortelles si elles ne le sont pas déjà.

Le livre sur le site de l’éditeur

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