TROU COMMUN : L’UNIVERS AU NOIR DE DAVID BESSCHOPS

369422_1424082850_695073978_q.jpgpar Philippe LEUCKX

Noir, c’est noir. Une couverture, chez Argol, qui fait scintiller les lettres blanches du patronyme et du prénom, car pour le reste, le noir domine. Titre en rouge! Et effigie de l’auteur, comme une trace à la véronique sur un drap!(1)

De l’auteur belge, Liégeois né en 1976, quelques plaquettes à l’écriture nerveuse et originale nous avaient alerté : il y a là une voix étrange, tissée de pur langage littéraire, où les figures de style s’engendrent, constituent la seule trame du texte. Il n’y a que les mots, pourrait-on dire. Les thèmes, les tons viennent par dessus, dans un beau désordre, mais selon une logique implacable. Ainsi, avait-on pu goûter les charmes vénéneux de « Azabache »(Ed. boumboumtralala), de « Russie Passagère » (Tétras Lyre) ou encore de « Lieux Langue Folle » (Maelström, bookleg), ce dernier, par apologue, disant assez bien ce que le texte peut bien vouloir signifier pour l’auteur. La folie par dessus, et comment!

images?q=tbn:ANd9GcRoV07PjneH07EmdMRXsqJNjmPxZ5niq3WMsIsja9H9GUI12uVpLe voilà donc à la croisée des destins, puisqu’il s’agit ici d’un premier roman – après des poèmes -, étrange tissage de poésie et de noirceur, de langue crue et d’obscénités tous terrains.

Difficile de résumer ce livre, innervé en tout petits chapitres d’une page et quelque. Pourquoi? Parce que de nombreuses voix s’entrecroisent : celles des père et mère, celle des enfants, sept en tout, mais qu’il faut fouiller pour bien les identifier, car, pas de codes facilement identifiables. Besschops recrée le romanesque, le genre narratif, en lui instillant les atouts qu’il délègue au poétique. Pas de phrase naturellement claire! On est dans le trou! On voit à peine se placer le personnage qu’il laisse place à d’autres figures.

C’est un monde d’en-bas. Un trou. Une langue qui a dépecé les matières.

Quelles matières?

Une interprétation filiale, familiale, sur fond d’enfance trouée, peut donner quelques balises. Le narrateur – aussi mobile qu’une chèvre au piquet – a six ans, a des frères, a un père. Un zizi, des bandes dessinées. Il dit d’emblée : « J’aime le langage qui fait ventre ». Voilà de la littérature-calembour de bout en bout. Enfin, je me fais comprendre.

Barthes eût dit, face à ce texte-magma : « par où commencer? », comme il se posait la question pour deviner les intentions scripturales du Proust de 1909! Ici, la matière d’enfance suinte de tous côtés.

Oui, il y a des enfants, très vite « au trou des choses »…Oui, il y a une mère et ses grossesses Oui, le père et un frère « à l’enfance brindezingue ». Des hôpitaux. Des incestes.

Difficile d’y voir clair! Pourquoi, parce qu’on est en pleine langue, dans le réseau des mots, des images, dans la suie de leurs traces. Une langue très méta! Les phrases renvoient aux phrases. Les réalités naissent des figures. Et l’on n’en sort (puisqu’il faut bien sortir!) qu’avec, en l’oreille, la surprise stylistique de haut vol. Ecoutez cette langue folle de Besschops : « J’installe ma crise dans nos meubles », « Je retire les draps du lit souvent bateau », » Par le carreau je quête inlassablement un sursaut d’humanité »…

En fait d’humanité et d’humaine compréhension, on est forcément « dans le trou » : démence d’un frère, copulations multiples, comparaisons de verrats, boissons pour mâles, et j’en passe.

Le style! Voyez-vous ça! Des phrases qui se donnent un mot, deux. Qui forniquent des ellipses à n’en plus voir le bout! Qui se mangent la queue! Les narrateurs s’en donnent à foutre-joie dans cet univers déjanté, glauque, interlope, un espace d’égout, puisque le mot tombe vers la fin…

Sortir des égouts, après quoi? Après avoir appris qu’on est père, époux d’une « lionne, le père, le belge, qu’on a « serré férocement l’émoi dans l’oeuf », on peut écouter « un cochon dans (la) salle de bains ». C’est un…métaphorique. Oui, si j’ai bien lu.

Mais, il faut le dire, ces sauts de narrateur et ces sautes de style n’alignent pas forcément clarté et repères!

Les dernières pages déclinent des évidences qui nous ramèneraient bien aux premières – pour les relire de conserve – : « les mots s’arrêtent à moi » ou « J’écoute les remords suinter à ma place »…

Besschops, passé au roman comme on passe par des officines ou des chambres d’hôpital véreux, avec purges, médicaments, onguents, bouillies, pansements qui suintent, a conservé une langue folle. Voici donc le premier métaroman belge à décrypter – cet articulet vous en aura dévoilé les recoins, quant à en savoir plus, lisez et relisez ce Besschops de bazar! Ce gars-là, élevé au petit lait d’Eugène Savitzkaya – première manière, l’izoardienne, a bouffé du Choukri, débecqueté du Fassbinder, s’est trempé dans « Porcile » de PPP…Et le voilà! Un monstre! Mais ne le laissez pas traîner n’importe où! Certain(e)s ne pourraient pas…comprendre! Je parle de son livre!

Au fond « Carmen » (Le Coudrier), son premier livre, en 2006, était sage! Mais, grands dieux de la prose, où va-t-il nous mener?

Avec COTON – dans un autre registre, oh que oui!, BESSCHOPS est une grande voix de demain! Pour sûr! J’en donne mes langues aux chats que je n’ai point!

Quant à la découpe de son écriture, je ne vois qu’un exemple en littérature belge : la spécialiste du « coupé court », de l’ellipse, du langage parlé redoré du blason « Jules Renard », notre BEATRIX BECK de « La Décharge », de « Stella Corfou »…

de « La lilliputienne »…Mr Besschops, une question : avez-vous lu Madame Beck? Rien que le patronyme devrait vous aller comme un ….on…guent!

En tout cas, il a lu COUNARD (cf. « Le laitier… »)

(1) D. Besschops, Trou commun, Ed. Argol, 2010, 112 p., 18 euros.

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http://www.argol-editions.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=63