2023 – LUS EN FIN D’ANNÉE : VOISINS POÈTES / La chronique de DENIS BILLAMBOZ

DENIS BILLAMBOZ

Je profite de cette chronique pour saluer une auteure belge, Monique THOMASSETTIE, et un auteur suisse, Claude LUEZIOR, deux très belles plumes qui proposent d’excellents poèmes. A travers eux, et leurs écrits, je voudrais rendre hommage à tous les auteurs suisses, trop peu nombreux, et belges, beaucoup plus nombreux, que j’ai l’occasion et le plaisir de lire.

Sauvée

Monique Thomassettie

Monéveil

Grande poétesse, auteure à la plume très affutée, Monique Thomassettie sait tout faire dans le monde du livre ainsi a-t-elle éditée elle-même ce recueil dont elle a réalisé la mise en page, les illustrations, la couverture et tout ce qui est nécessaire à sa publication avant de le confier à un imprimeur.

Ce texte est un recueil de poésie composé de poèmes répartis en quatre chapitres correspondant chacun à une « époque » de la vie de l’auteure, époque étant entendu comme étape dans la réflexion qu’elle mène sur elle-même, sur la vie qu’elle a plus subie que voulue, sur ce qu’elle voudrait devenir. Un texte mémoriel, thérapeutique, déjà testamentaire … Ce texte commence par un appel d’un lieu où elle semble avoir connu une certaine paix. « De Ta voix de montagne / Tu me rappelles, / en mes plaines / mes horizons qui de plus en plus / encerclent / uniformément // … »

Elle se souvient, elle voudrait oublier, la dépression, « Moult causes à ma dépression. / Anciennes, récentes, présentes. / Causes d’ordres différents, / mais dont le point commun / est la négation de ma personne … » Les failles de l’enfance qui l’ont conduite à cette dépression, la discordance qui sonnait entre le père et la mère. « Elle en allemand, / lui en français. ». L’entente ne pouvait pas être très cordiale, les enfants ont subi jusqu’à l’humiliation, jusqu’à être traités de « Boches » parce que les garçons avaient été enrôlés de force dans la Wehrmacht comme les « Malgré nous alsaciens et lorrains ».

Mais comment faire comprendre aux autres l’origine, le sens de cette dépression ? L’écriture peut paraître insuffisante « Je crains les critiques ou recenseurs / qui ignorent mon cheminement / … », et pourtant la lecture des auteurs favoris est d’un grand secours pour oublier cette dépression si prégnante. « Pour la troisième fois de ma vie, / me voici savourant Marcel Proust ! / Comment mieux me guérir / qu’en retrouvant le Temps /… »

La religion est autre un refuge souvent évoqué à travers Dieu lui-même mais aussi à travers les saints, comme Saint François d’Assise et ses moineaux, ou des événements bibliques, « Mon cœur enflammait le buisson. / Et le buisson s’est tu / … ». La religion, l’art, la littérature, la poésie sont les piliers de ce texte que l’auteure voudrait rédempteur, elle a la volonté de sortir de cette dépression envahissante, « À la force de mon poignet qui écrit, / remonter ma pente dépressive. / … ».

Sortir de la spirale de la dépression et donner aux autres pour qu’ils puissent eux aussi sortir de leur ornière ou tout simplement ne pas s’y enfoncer. « Oui, j’abreuve, nourris. / En mes œuvres, beaucoup se ressourcent » Elle boucle la boucle de son désespoir en répondant à l’appel de la montagne où elle se réfugie, là où « L’Espace allège mon fardeau. / Et j’avais déjà espacé / les vers centrés de mes derniers poèmes. / Dès que je me suis sentie / s a u v é e »

Ce livre, l’auteure le définit elle-même : « Livre de mes résurrections / Ainsi peut se titrer / mon œuvre entier. / Tant un fil de résilience / unit mes écrits et tableaux … » Mémoire, souvenirs, résilience, rédemptions et partage, tel pourrait-être le testament que Monique livre dans ce texte éblouissant, d’une force, d’une puissance évocatrice transcendantes.

Monique THOMASSETTIE sur le site des Editions M.E.O.

+

Au démêloir des heures

Claude Luezior

Librairie-galerie Racine

Claude Luezior est mon voisin helvète, il a longtemps pratiqué la médecine dans les plus grands établissements dont certains américains, avant de s’adonner à l’écriture. Je l’ai découvert à l’occasion de la publication d’un recueil d’aphorismes, « Emeutes – Vol au-dessus d’un nid de pavés », dans la collection Les P’tits cactus de Cactus inébranlable éditions et de l’édition d’un superbe recueil de poésie, « Sur les franges de l’essentiel », par les Editions Traversées. Aujourd’hui, je le retrouve avec un nouveau recueil de poésie qui entraine le lecteur dans un autre monde, un monde onirique qu’il annonce dans premier poème liminaire en questionnant le lecteur sur le rôle du poète : « La mouvance du poète est-elle de mettre des mots sur l’indicible, de tailler avec le burin de son verbe un magma en jachère ? »

Dans des poèmes construits avec des vers très courts, deux ou trois mots, parfois un seul, rarement plus, il évoque le rêve, le rêve source d’une autre façon de vivre, d’autres angoisses, d’un autre espoir aussi … « … / Le rêve / distille / cette jumelle / qui somnole / en cet autre moi / de tous les impossibles » Soignant, il a connu la souffrance de ses patients avant de la connaitre lui-même. Il sait les nuits remplies de cauchemars : « en meutes carnassières / des cauchemars inassouvis / sans cesse à la maraude / traquent mes chairs » Il a vu les somnambules déambuler hagards dans les couloirs : « « … // quelque part / là, ici, ailleurs / et partout à la fois / rôde le somnambule ». Et certains ont même connu le délire : « … // le voilà / qui transgresse / et célèbre / une fête des fous / frappe-t-il au carreau ? / est-il feu-follet / loup garou / habité par l’esprit / on peut-être satyre / troussant / de lueurs de lune ? // …» Avant que l’aube salvatrice annonce une nouvelle journée de vie avec tous les espoirs qu’elle comporte : « encore poisseuse / de ses miels / presque translucide / en la nurserie / de l’aube qui s’éveille // … » ; « Déjà s’éloigne / tout là-bas /le totem de la nuit / clouté de planètes / et d’étoiles malingres / … » Une aube qui ne laisse aucun temps au rêve qui ne serait que perte de temps : « pas le temps ! // même de rêver / temps perdu / …. // même de penser en rêvant / n’est-ce perte de temps ? / … »

Dans ses vers, Claude cherche ce nouvel espoir, cette façon de vivre encore, de vivre en écrivant des vers nourris de belles assonances et allitérations, musicaux, fluides, et joliment rythmés. Et si la vocation du poète était de mettre des mots d’espoir sur les plaies de ceux qui souffrent ?

Le site de l’éditeur

Le site de Claude LUEZIOR

Laisser un commentaire