LA VOIE DU THÉ

arton117866-225x300.jpgpar Denis BILLAMBOZ

Quand j’ai lu « Le livre du thé » de Kakuzô Okakura, déniché dans ma très petite librairie préférée, j’ai immédiatement pensé au livre d’Inoué, « Le maître du thé » lu bien des années au préalable. Ces deux textes évoquent la cérémonie du thé, le sens religieux qu’elle comporte pour les Japonais, et tout ce qu’elle représente pour la pérennité de la culture nippone traditionnelle confrontée aux agressions de la culture internationale importée notamment par les pays occidentaux. Voulant impérativement vous présenter ce sujet, je vous propose donc ma chronique du livre d’Okakura et quelques souvenirs de ma lecture du livre d’Inoué que j’ai rédigés il y a déjà plusieurs années, avant que j’écrive des commentaires plus formels.

 

 

26425_1599609.jpegLE LIVRE DU THÉ

Kakuzô OKAKURA (1862 – 1913)

Okakura est né en 1862, deux ans après l’ouverture de la baie de Tokyo aux étrangers, il a écrit « Le livre du thé » en 1906 quand le Japon connaissait ses premiers succès en s’appuyant, après deux siècles d’isolement, sur les méthodes militaires et industrielles occidentales. Selon l’auteur des préface et postface, Sen Soshitsu XV, « Il souhaitait se faire l’interprète de la civilisation nippone aux yeux de l’Occident … Il entendait remonter le vaste courant de culture asiatique qui prend sa source en Inde et cerner sa contribution potentielle à l’ensemble de la civilisation humaine ». Nourri de la langue anglaise qu’il acquit très tôt dans une famille de grands négociants, des classiques chinois et japonais, il rédigea son texte directement en anglais pour qu’il soit facilement accessible pour les Américains qu’il fréquenta assidûment notamment quand il vécut à Boston.

Okakura a choisi le cha-no-yu, la cérémonie du thé, « la voie du thé » selon certaines traductions, comme symbole de la civilisation japonaise pour faire comprendre aux Occidentaux que les Orientaux avaient eux aussi des valeurs qui supportaient aisément la comparaison avec les leurs. Il supportait mal la suffisance des Occidentaux refusant de comprendre l’Orient alors que le thé devenait une boisson appréciée de la Russie aux Amériques. Il voulait leur faire admettre que le « théisme » est une véritable mythologie asiatique, apparue en Inde, transplantée en Chine et enfin instaurée sous forme d’un rituel au Japon au XIII° siècle avant d’être définitivement codifiée au XVI° siècle. Que c’est ainsi une forme de religion née du taoïsme, enrichie du bouddhisme et du confucianisme. « La vision d’Okakura s’enracine également dans les valeurs religieuses du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme ».

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Refermé sur lui-même pendant deux siècles, le Japon a cultivé sa religion, sa philosophie, ses mœurs, sans jamais les confronter à celles d’autres peuples, les approfondissant jusqu’à en tirer la quintessence, jusqu’à en faire non pas une perfection qui est une finitude en soi, mais seulement une aspiration perpétuelle vers la perfection à jamais inaccessible. Okakura explique comment ce rituel dépouillé à l’extrême conduit à travers son raffinement suprême sur la voie de la sagesse, au nirvana, en observant les quatre principes fondamentaux : harmonie, respect, pureté et sérénité. « Le livre du thé » évoque le breuvage, la chambre du thé, la cérémonie, le maître, le rapport avec l’art, l’harmonie avec la nature, la religion, la philosophie, le chemin vers la perfection. « Le Livre du thé… nous rappelle que la beauté des fleurs est – à tout moins – aussi essentielle à l’existence humaine que les plus récentes inventions du confort moderne ».

« Voir, selon le cha-no-yu, c’est abandonner le verre déformant des coutumes et des jugements sociaux pour percevoir les choses telles qu’elles sont ». « Cela fait près d’un siècle qu’Okakura a rédigé son essai. Le message qu’il renferme n’a rien perdu de sa force, et son impact est sans doute plus grand encore aujourd’hui. Les êtres humains, nous avertit Okakura, doivent apprendre à vivre en harmonie, et à respecter sincèrement toutes les cultures ». Combien ont entendu ce message ? Combien l’ont écouté ? Combien en ont appliqué les enseignements ? … Bien trop peu hélas !

 

6217_505520.jpegLE MAÎTRE DU THÉ

Yasushi INOUÉ (1907 – 1991)

Quand j’ai découvert ce livre il y a une douzaine d’années, j’ai été impressionné par la ferveur avec laquelle le vénérable Inoué nous décrivait la cérémonie du thé ; comme s’il vous voulait nous montrer qu’au-delà du service, cette cérémonie avait une véritable dimension spirituelle qui confine au religieux. Elle apparaît ainsi comme une sorte de sacrifice que l’on pourrait rapprocher de l’eucharistie chez les catholiques.

Mais, ce livre publié à l’extrême bout de la longue vie d’Inoué, est aussi une forme de testament que le vieux sage cherche à transmettre aux jeunes générations en essayant de leur faire comprendre que les rites ancestraux ont un sens et une signification spirituelle dont le Japon d’aujourd’hui, immergé dans le matérialisme le plus concret, a bien besoin pour assurer son avenir et garantir l’équilibre des jeunes générations menacées par les nouvelles valeurs importées dans les bagages des hommes d’affaires et des capitaines d’industrie.

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                                                                   LES ÉDITIONS PICQUIER 

 

2 commentaires sur “LA VOIE DU THÉ

  1. Ces deux ouvrages sont aussi intiment liés dans mon esprit, même si celui d’Inoue reste, à mon avis, moins accessible en raison de son style, même s’il s’agit d’un roman. Le livre d’Okakura est une entrée en matière formidable pour ceux qui sont attirés par la culture japonaise, et pour ceux qui l’apprécient déjà, il tisse des liens, donne une trame afin de mieux l’appréhender.
    Votre article me donne envie de les relire tous les deux !

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