LECTURES DE FÉVRIER par PHILIPPE LEUCKX

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Philippe LEUCKX

Florent DUMONTIER, éclair éclat erre, La Crypte, 2019, 64p., 12 euros.

Dans des poèmes condensés, l’intime prend une place décisive ; l’écriture privilégie les yeux, les masses, la nuit, et les questions sensibles sur le corps.
Peu de place ici pour le divertissement ; on est dans le grave : un « regard sans relève », « le corps est trop étroit », ou encore « les corps/ séparés pour toujours ».

Cette belle écriture décline les phases d’un vertige ou d’une perte ; le matériel s’accable d’évidence et l’oeil scrute avec sagacité.

Que reste-t-il de nous quand le silence et la mort s’invitent et que « ta voix (aimerait) ravaler l’erre lâche qu’ouvre ta blessure » ?

Ce poète n’écrit pas pour rien, on s’en doute.

*

Eric DEJAEGER, De toutes mes farces, Cactus Inébranlable, 2020, 74p., 10 euros.

Le poète nous a habitués à ses farces, ses attrapes, ses jeux de mots, ses aphorismes. Il le fait avec abondance et talent, nous servant ses trouvailles d’humeur et d’humour.

Il jongle avec la langue et ne se départit jamais d’une adresse verbale singulière.Cela nous vaut :

Quand l’obèse s’écroule, on peut dire que le plus gros est fait.

Un tout petit objet volant téléguidé muni d’une auréole, c’est un saint drone.

Vus d’en haut, tous les chauves se ressemblent.

Les banques du sperme attendent les citoyens donneurs.

*

Sabine VENARUZZO, Et maintenant j’attends, éditions de l’Aigrette, 2020, 104p., 15 euros.

On sent ici le travail du performeur , ces longs poèmes verticaux qui ont une certaine cadence et contre eux un lyrisme un peu bavard, avec moult répétitions et anaphores. Cette écriture par ailleurs fort redevable des textes engagés (à la Paul Eluard) ne renouvelle pas suffisamment ses marques.

On voudrait davantage de densité ; les thèmes singuliers mériteraient un style plus incisif :

A présent science future au passé d’une fiction.

Où le temps a fui le cadran solaire.

Où le sein d’une mère a le goût plastique.

Et le crayon mine

Une odeur de sang.

*

Gérard LE GOFF, L’orée du monde, Traversées, 2019, 64p., 15 euros.

Une belle découverte.

Qu’un enfant se souvienne ou que l’on traque les trains des soirs, il y a ici un sens de l’observation assez aigu pour nous faire partager « aux confins de la plaine invariable » des moments sombres, d’ombre, un « temps aboli au risque de l’oubli ».

De lents et longs poèmes cartographient des atmosphères de « bout du monde » entre jour vaillant et nuit inquiète.

Des poèmes issus de nos « mémoires mouvantes » décrivent avec l’oeil et la sensibilité d’un enfant qui veille « ces jours d’hiver traînant leur gris de muraille ».

Perec, ici récité, n’est pas loin et les souvenirs ont un certain cachet :

Je me souviens des plumes d’acier bleuté et des boulettes de buvard trempées dans l’encrier de porcelaine…

*

Sylvie DURBEC, ça, qui me poursuit, Les Carnets du Dessert de Lune, 2020, 86p., 13 euros.

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Patrie, fratrie, poésie : un trio de thèmes pour la poète car la « résistance » la contraint, pour notre bonheur, à énoncer le réel sans apprêts, dans une singulière écriture où les père, mère, fils, filles dévident « des voix » sous les pierres,  la « terre telle/ une grande femme/ un peu malade/ chancelante », ses « poches/ (qui) se remplissent/de visages vus/ au fil du rêve ».

Pas de tiédeur ici ni de sentimentalisme rose, les mots désarticulés rameutent des morts, des mots « fichés dans la tête ».

Les bombes qui tuent, la mer noire de leur sang : autant de blessures difficilement curables.

L’oeil de Durbec nomme, incise, dénonce, coléreux et aigu.

Ailleurs, les conversations de comptoir ou les mots jetés en l’air (l’air de rien) disent bien l’inanité de certains dialogues de sourds. Aucune cruauté là ; seulement un désir rageur de dire un certain malaise de nos vies communes, et difficilement partageable. Une poésie courageuse, engagée, qui peut heurter les consciences tranquilles.

*

Stanislas CAZENEUVE, Origine Horizon, La Crypte, 2019, 118p., 16 euros.

Poète toulousain, né en 1976, Cazeneuve maîtrise le bref poème ou celui en prose. La scansion magistrale saisit des moments, les découpe, les rythme avec justesse :

Je dormais. Dans ma voix, le sel des larmes. Les souvenirs des jeux. J’ouvre grand les yeux. Je me tais.

« Matin de givre sur les arbres »ou « silence amer » : la réalité est là, immédiate, sanglée en peu de mots, langage d’une oppression qui se délivre des « joncs de la nuit ».

Il faudrait « prendre visage », « s’approcher de la fenêtre ». Les ultimes poèmes, d’une lueur de drame, ajustent une vision à la fois apaisante et désespérée. De la très haute poésie :

La lampe est plus vaste que ma chambre.Son angle de lumière obtus. Ouvre aux rêves. Comme une flaque d’eau fait entrer dans le ciel.

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