ÉMEUTES Vol au-dessus d’un nid de pavés, de Claude LUEZIOR (Cactus Inébranlable) / Une lecture de Barbara AUZOU


Bienvenue dans le « carnaval des humains » (p. 30) !

Chacun pourra y chercher son « pavé » et la frontière ténue entre raison et folie. Et il y a du beau monde dans ce rassemblement jubilatoire !

On y croise « la mine patibulaire et les moustaches décaties d’un syndicaliste en tête de cortège » et « devant les marches de ce que certains appellent pompeusement le Temple des États Désunis, quelques milliers de braillards excités par la parole hallucinée de leur propre président en exercice. »

Vous souriez (jaune) car ces figures vous semblent familières ? C’est normal. Le scénariste vous assure à la fin du film que « Toute dissemblance avec la réalité doit être vue comme une grave illusion d’optique. »

Des pavés, il en pleuvra en « vois-tu en voilà » tout le long de ce film tragi-comique qui s’ouvre sur l’évocation d’un kit indispensable au bon manifestant. Il va  de « quelques tambours, trompettes de nouvel an et autres casseroles » à «  deux – trois actionnaires enchaînés, genre bourgeois de Calais » à une bande de gilets jaunes (pas ceux en train de griller des saucisses sur les « Cathares-fours »).

Comme l’indique Clause Luezior, Dieu y reconnaîtra les siens de toutes façons.

Tout le monde en prendra pour son grade dans ce bref recueil que l’auteur nous invite à lire « comme un brûlot, avec incandescence » car au fond tous ces émeutiers ne sont-il pas des Néron incendiant Rome pour la reconstruire au nom de l’art ? Et les gens d’armes «  un sombre bataillon dont la lippe inassouvie emprisonnée par un casque, mâche on ne sait quelle pensée provisoire » ?

« L’arroseur arrosé », autre expression popularisée par le cinéma à l’époque des frères Lumière pourrait bien être l’architecture secrète de l’ensemble.

Rappelons qu’au sens originel une « émeute » désignait une émotion liée à un évènement considéré par une partie de la population comme interdit et révoltant. »

Mais il semble qu’ici on veuille guérir davantage que la maladie, la résistance des récalcitrants !

Alors oui on rit. Beaucoup. D’autant que Claude Luezior peint des scènes très visuelles : « le tout prend un air de sfumato à la Léonard de Vinci quand survient le saupoudrage des gaz lacrymogènes » se demandant d’ailleurs si « l’émeute n’est pas le « cri » de Munch en plus joyeux. »

Plus loin « Hirsute et débraillé, le peuple qui se chamaille en mille escarmouches semble doté d’une énergie picturale ». La langue est savoureuse, la langue est truculente et le pavé à le droit à un traitement particulier : « cet organe que l’on vénère arraché aux venelles » cette « comète aux prunelles argentées ». Les mots s’appellent  les uns les autres avec une force d’attraction évidente et délicieuse. Écoutez bien et vous entendrez jurer les gilets et chouiner les Chouans !

Mais on frémit aussi et on se demande avec l’auteur « dans quel sens trouver du sens » à tout cela.

Certains passages sont graves :

 « N’oubliez pas le mot Reich, n’oubliez pas les chemises brunes et leur sombres escortes »

« On évacue les vrais sénateurs menacés de lynchage »

Et les dernières pages évoquent un autre pavé, non des moindres, l’irruption dans nos vie d’un virus « nano-hérisson qui se balade d’une lippe à l’autre » et son cortège « confondant de manière punitive sa propre liberté avec celle des autres »

Pour se terminer sur l’image extrêmement émouvante de « deux mères-grand, qui avaient de leur temps allaité cette marmaille aspirant leur dernier bol d’oxygène ».

Barbara AUZOU


Claude LUEZIOR, ÉMEUTES Vol au-dessus d’un nid de pavés, couverture de Philippe Tréfois, Cactus Inébranlable Editions, 2022, 78 p., 10 €, ISBN : 978-2-39049-054-8

L’ouvrage sur le site du CACTUS INÉBRANLABLE

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