TREIZE ACQUIESCEMENTS FAITS AU COEUR de CATHERINE BAPTISTE (Éd. du Cygne) / Une lecture d’Éric ALLARD

Treize acquiescements faits au cœur - broché - Catherine Baptiste - Achat  Livre | fnac

À la sève des végétaux, Catherine Baptiste conjoint le rouge du sang, de la lave.
Ce rouge qui monte aux joues mais aussi aux lèvres et aux oreilles.

« Ce rouge incréé, cet élan vertigineux », non immédiatement perceptible mais qui « meut la vie ».

Le rouge ardent, c’est aussi bien la poésie innervant l’existence qu’il faut faire advenir sur la page blanche pour acquiescer au cœur. Il s’agit d’écrire l’âme en « calligraphes flamboyants ». Persistance ici aussi de la couleur rouge comme dans les baies, les grenades, les groseilles…, qu’elle cite par ailleurs. La parole à venir serait alors un fruit à cueillir mais elle doit aussi se parer d’ailes pour se prêter au vol.
Il faut prendre le risque de la contradiction comme de l’excès d’énergie dépensée afin de solliciter nos forces vives, les faire déborder de leur lit, tel que l’exprime le troisième acquiescement : DIRE TROP TROP (CEPENDANT)…  « puisque dire est déjà trop. »

Ne pas trancher, dire le rouge et le vert

Toute chose bégayée et son contraire

Le quatrième acquiescement vise à TENDRE (VERS LA MER)… « pour l’ardeur changeante mais obstinée / d’un vert bleuté / déjà, vu quelque part dans les yeux / de ce qui se vivait arbre,/ de ce qui se faisait passereau // en toute connivence de ciels »

Le cinquième, VIVRE PLEINEMENT, acte l’inscription de l’arbre en l’homme, que la poète précise ramifié, bavard, ouvrant, chantant, cognant…, dans le but de faire résonner l’intensité et la sauvagerie du cœur.

Le suivant, PENSER PINSON, s’inscrit dans ce champ sémantique de l’arbre et de la cognée comme dans celle de l’envol et du ciel.

Puis il y a PRENDRE ÂME, (A)BORDER LA VIE, ENTRER EN LYRISME…

Tous les acquiescements visent à ré-concilier âme et corps, chair et esprit par l’entremise, on dirait bien, du cœur qui serait l’organe de conjonction, à la fois « substantiel  rouge du corps » et ouverture au vert de la forêt ou de l’eau vive, à l’abandon, à l’envol, ces en dehors du corps où nichent l’innomé, l’inconcevable.  

Le fragile équilibre entre rouge et vert s’atteint par ailleurs par l’écriture et la poésie.

Les mots sont de petites plaques tectoniques qui se frôlent

S’approchent, se heurtent

Jusqu’à l’effusion

Il faut aller chercher le fond du magma des idées

Pour taper enfin du pied

Cette tension vers l’éclaircie qui fait QUITTER L’OBSCUR peut souffrir de pause, de lâcher prise momentanés. C’est le sens du dixième acquiescement : ABDIQUER (PARFOIS).

Les images chez Catherine Baptiste ne sont pas univoques, jamais simples, elles sont des manières d’appréhender le monde dans sa complexité, ses mode de changement. Elles tissent de mobiles correspondances, elles forment des emboîtements de significations au gré des tremblements du monde, dans une langue ample, qui vise « une clarté de pensées ».

Les acquiescements composent comme les postes interférents d’un territoire au centre duquel se situerait le cœur à la façon d’un trésor à découvrir.

Ces treize accords baptistiens agissent comme autant de clapets d’ouverture en période de sécheresse existentielle où l’Homme, trop occupé à s’en prendre à autrui, l’accusant de tous les maux de la Terre, méconnaît le sens de son existence propre et des connexions oubliées qui le relient au cosmos. En les verbalisant, en les faisant résonner, pour agir sur le cœur, Catherine Baptiste fournit à chaque lecteur une grille harmonique pour réenchanter le monde et retrouver « l’ivresse absurde et sage de la vie ».

Elle offre au lecteur un manuel de survie en période de crise majeure.

Treize acquiescements faits au coeur sur le site des Editions du Cygne

Dans VOUS DIRE LA NUIT, paru chez le même éditeur en 2008, avec les photos de Julien CHAUME, elle partait déjà en quête du cœur de la nuit, du cœur de la ville au centre des pérégrinations des arpenteurs.

Le cœur de la ville est un Minotaure  qui ne reste pas en place

Car là où se figent nos espérances nous l’appelons cœur

là où se figent nos peur nous l’appelons monstre

Et c’est un seul et même qui marche.

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